Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

maman jane

10 janvier 2012

L'ANNIVERSAIRE DES 8 ANS

 

L’ANNIVERSAIRE  DES HUIT  ANS.

Aujourd’hui, c’est le 10 Juin 1948. J’ai huit ans. Maman est là, elle va mieux et elle a repris le travail. Papa a eu un abcès à la main, là où il a tapé si fort contre la porte et on a du l’opérer. Le petit frère a 6 mois, mais il ne va pas très bien. Il ronchonne tout le temps et parfois il crie très fort car il a mal au ventre. Maman a commencé une neuvaine à la vierge miraculeuse. Si le bébé guérit, elle a promis de ne plus porter de couleurs, que du noir et du blanc.

Ce matin, avant le départ pour l’école, Maman Jane m’a appelée près d’elle pour me donner un « petit billet ». Tu achèteras ce qui te fait plaisir, elle a dit. A l’école, tout va bien. Ce soir, il y aura quand même le goûter d’anniversaire et j’ai une robe neuve à petits carreaux rouges et blancs, avec du croquet sur les bords. Pour le vélo, Marraine a dit qu’il faudra attendre encore, il y a d’autres priorités.

Les soirs où il y a du vent, si les tôles bougent un peu, je me roule en boule au fond du lit et le sommeil ne vient pas. Je pleure et j’appelle Papa. C’est le cyclone ? Mais non, mon petit chou, dors tranquille, ce n’est pas la saison des cyclones.

La saison des cyclones c’est en Janvier, mois de naissance du petit frère…Maman Jane, elle aussi, est un peu patraque depuis le cyclone. Elle a perdu un peu du bel allant d’autrefois. Que transportent donc avec eux ces mauvais vents qui tourbillonnent et détruisent tout sur leur passage ?

« Ecrire c’est bruler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres. »     Blaise CENDRARS.

 

Françoise LAMBERT

Août- Septembre- Octobre 2002.

Publicité
Publicité
10 janvier 2012

LE CYCLONE

cyclone1

J’ai été la marraine… Mais à vrai dire, je n’ai pas eu le temps de savourer vraiment le bonheur de cette journée de baptême. Le cyclone est venu tout de suite après. Le cyclone est passé et nous avons tout perdu. Tout, c'est-à-dire pas grand-chose, mais tout de même… D’abord la maison de vacances en torchis s’est effondrée comme un château de cartes. Même que si nous n’étions pas allés nous réfugier dans la cuisine, nous y serions tous restés sous les poutres et les tôles du toit. Mais la cuisine non plus n’a pas tenu. Les murs sont partis par pans entiers, abandonnant la porte dans les mains de Papa. Marie-la-Blanche a eu beau égrener le rosaire, rien n’y a fait : La cuisine maintenant menaçait de s’effondrer à son tour. Je criais et pleurais tellement que Papa a décidé soudain de m’emmener la première chez Maman Jane, dans la maison du haut. Il m’a soulevée et nous avons entamé ensemble la montée de l’escalier, ce fameux escalier de bambous qui glissait tant qu’on aurait dit qu’il s’évertuait à nous renvoyer vers le bas. Les éclairs illuminaient le paysage comme en plein jour. Les bourrasques nous pliaient au sol, la pluie tombait si fort qu’elle nous aveuglait. Les feuilles de tôles arrachées aux toits d’alentour nous arrivaient en sifflant au dessus de la tête.

Nous sommes arrivés à la porte, je ne sais pas comment, et nous avons tapé et crié, tapé et crié encore, mais il y avait tant de bruits alentour, de sifflements, de craquements, que c’était peine perdue. Alors Papa a saisi un gros galet qui traînait par terre dans les débris de branches et de fleurs et avec ça, il a frappé contre la porte. Longtemps, très longtemps, combien de temps je ne pourrais pas dire…Enfin la porte s’est ouverte, maintenue à grand peine par Marraine et je suis tombée en criant dans ses bras. Pas le temps d’expliquer, Papa était déjà reparti.

 Il est revenu par trois fois, avec Criquette, puis avec Mado et enfin encore après, portant un paquet de couvertures mouillées qu’il a lancé dans les bras de Marraine, avant de se précipiter à nouveau dehors. Emilien est devenu fou, a dit Marraine, en déroulant les couvertures, et nous avons vu apparaitre le bébé, hurlant tout ce qu’il pouvait comme à son habitude.

 Alors est arrivée Marie-la-Blanche, toute trempée, la robe collée sur elle, hurlant : Madame ! Madame la perd’ ! Papa est resté longtemps dehors…Impossible à nous de comprendre ce qui était arrivé à Maman. Marraine nous avait séchées, réchauffées et habillées de linges secs. Le bébé avait été enveloppé dans des serviettes et se faisait bercer par Ezite, Chut…chut !

 Papa est revenu enfin portant Maman toute trempée, les yeux fermés et sans mouvements. Qu’est-ce qu’elle a Maman ? Elle est évanouie, dit Marraine, vite allons dans la chambre du fond. Alors est arrivée Maman Jane, qui était malade et alitée. Comprenant enfin le drame, elle arrivait, sa bougie à la main, dans son déshabillé blanc, répétant : Mon Dieu ! Mais qu’est-ce qui se passe ?

Raconter le cyclone avec des mots vrais que tout le monde puisse comprendre, c’est vraiment impossible. Je peux dire la beauté des fleurs et la saveur des gâteaux, mais là pour le cyclone, je ne sais pas trouver les mots. Maman et le petit frère ont failli mourir, Maman parce qu’elle avait été poussée par le vent en contre bas de l’allée et précipitée dans le bac qui, servait à recueillir les eaux de pluie. Le petit frère parce que Maman ne pouvait plus lui donner à téter.

 Dès que la route a pu être dégagée, l’ambulance est remontée chercher Maman et le bébé. Tous deux sont restés longtemps en clinique et Papa a dit : C’est le docteur Ricquebourg qui les a sauvés. Je lui en serai éternellement reconnaissant.

Après le cyclone, la pluie est tombée pendant une semaine. Pendant une semaine, nous sommes restés enfermés dans la maison de Maman Jane. La maison était pleine de gens dans tous les coins, tous ceux des alentours qui avaient eux aussi perdu leur maison. Nous étions enveloppés dans les habits de Marraine ou de  Maman Jane et nous allions sans but d’un coin à l’autre. Ezite essayait de faire durer le plus possible ses réserves de riz et de haricots. Tous les repas étaient semblables : Riz et grains secs ! Mado pleurait : Veux pu zaricot ! Et Criquette occupait son temps à chanter :

Comme étrennes on m’a donné

Tra la la la lère

Comme étrennes on m’a donné

Un pantin articulé…

Moi, j’étais muette, terrorisée par la pluie, tétanisée au moindre souffle de vent qui faisait encore trembler les tôles. Quand la pluie a cessé un peu, nous sommes descendus  voir les décombres et y ramasser ce qu’on pouvait récupérer. Nous avons ramené des instruments de cuisine, du linge mouillé et boueux, des meubles disloqués et même des billets de banque, restes de ce qui faisait toutes les économies de Maman et Papa.

10 janvier 2012

LE PETIT FRÈRE

Ce matin, nous sommes restées avec Marraine. Maman est entrée dans l’ambulance pour descendre à la clinique. Papa est arrivé cet après-midi, vers 4 heures, pour nous annoncer que nous avons  un petit frère. Il a ramené des bonbons pour nous remercier d’avoir été sages. Tout le monde est heureux de l’arrivée d’un garçon. Après trois filles, enfin un garçon !

 Papa dit : Il s’appelle Jean, c’est un beau garçon.

 J’ai hâte de voir à quoi il ressemble.

Eh bien, il ressemble à rien, un petit paquet de chair au milieu d’un tas de linges. Maman est au lit, elle est pâle, elle dit : Il faut être sages les filles, si vous voulez qu’on rentre vite à la maison, le petit frère et moi. Elle me dit : Toi, surtout, donne le bon exemple. Nous voulons te confier d’être la marraine du petit frère, mais il faut le mériter.

Le soir dans la cuisine, je dis à Ezite que je vais passer marraine de mon petit frère. Elle dit : Bravo, Jeune Fille, c’est une grosse responsabilité…Puis elle ajoute nous allons dire une prière pour ce petit homme nouveau-né et nous récitons un « Notre père » et un « Je vous salue Marie ».

Au repas du soir que nous prenons tous chez Maman Jane, nous buvons un verre de liqueur pour fêter la naissance. Maman Jane dit : Il porte le nom de son Grand-père, qu’il ait son intelligence et ses qualités de cœur. Et elle sort la Marie Brizard qu’elle verse dans des verres minuscules, roses comme des dragées. Nous, les enfants, nous avons droit à des langues de chat, toutes craquantes. Ce n’est qu’un avant-goût, ajoute-t-elle. Dans 15 jours, ce sera le baptême et nous boirons du champagne. Et elle me chatouille le menton, avec un petit sourire amusé.

Maman et le bébé sont rentrés à la maison. La vie est toute bouleversée, il faut toujours faire attention à ne pas réveiller le bébé. Maman ne fait que ça : S’occuper du bébé. Elle dit : Ce n’est pas une sinécure, ce qui veut dire : Ce n’est pas une mince affaire. Marraine s’affaire à préparer la robe de baptême. Nous sommes allés voir le curé de la Montagne et ça n’a pas été facile de lui faire admettre que je puisse être la marraine. Marraine (la mienne) a discuté longtemps avec lui. Il disait : Elle me semble bien jeune et inexpérimentée et puis surtout, elle n’a pas encore fait sa première communion. Forcément puisque je n’ai pas encore 10 ans…Elle, c’est moi et je suis là. Pourquoi il s’adresse pas à moi, ce curé ? Je l’aime pas.

Bon, il finit par dire oui, à condition que le parrain se porte garant et prenne toute la responsabilité. Le parrain c’est Paul Zelmar, un monsieur très gentil qui vient d’épouser Line Roufli. Criquette et moi, nous avons été demoiselles d’honneur à leur mariage. Nous avions des robes longues, rose pour Criquette et bleue pour moi et  des nœuds dans les cheveux. Monsieur Arnoux a fait des photos. Nous étions très élégantes. C’est vrai que c’est important de porter la traîne de la mariée, faut pas marcher dessus, faut pas trébucher autrement on se casse la figure et c’est la honte. Le soir au bal, nous sommes restées très tard avec les grands et nous avons dansé  et mangé le gâteau…C’était bien.

Je me demande si le baptême sera aussi amusant. En attendant, il faut faire silence pour laisser le bébé dormir. Malgré le silence, le voilà qui se met à gueuler comme un cochon qu’on égorge et il devient rouge-cramoisi. Maman sort alors son sein, qui est tout gros et gonflé et met le bout dans la bouche du bébé. Les pleurs cessent immédiatement et se transforment en grognements, en bruits de succion. Il est tellement glouton, ce bébé que de temps en temps, il avale de travers. Il s’étrangle, Maman lui tape dans le dos doucement, et les pleurs recommencent. Il a encore faim, dit-elle et elle lui donne l’autre sein. Ca continue jusqu’à ce qu’il ferme les yeux, repu et  va pour s’endormir. Mais Maman le soulève et le promène et lui tapote le dos pour lui faire faire son rot. Survient alors le bruit caractéristique qu’on ne nous permet pas de faire, à nous les grands, sans nous excuser. Le bébé, lui, il a tous les droits. Mado est perturbée, elle pleure tout le temps et se réveille la nuit. Papa est obligé de se lever pour la bercer, chut, chut !...Maman dit : elle est jalouse du bébé, cette enfant ? Eh bien, pas moi ! Et je me demande si j’ai vraiment envie d’être la marraine.

 

10 janvier 2012

LA LECTURE

 

Maintenant tu sais lire couramment, dit Marraine. Couramment, ça veut dire avec facilité, avec aisance. C’est vrai que pour la lecture, les choses vont de mieux en mieux. Je ne bute plus sans cesse sur les mots un peu longs ou difficiles et Marraine n’a plus besoin de me reprendre aussi souvent. Maman Jane dit qu’elle est fière de moi et que bientôt je pourrai puiser dans la bibliothèque de Grand-papa. Je n’en suis pas encore là. Pour l’instant, je me contente de mes livres d’école et depuis peu, j’ai attaqué le grand livre reçu comme cadeau d’anniversaire pour mes 7 ans. C’est un grand livre rouge avec sur la couverture cartonnée le dessin d’une petite fille et de son chien. Ca s’appelle Zette, histoire d’une petite fille. Faut pas croire que c’est facile à lire, les phrases sont longues, avec beaucoup de virgules et de points de suspension et il y a des mots que je ne comprends pas très bien du premier coup.

            Mais bon, j’avance tout doucement dans cette histoire et je la trouve pas très passionnante. Zette  est une petite personne capricieuse, qui fait autant de bêtises que Sophie, tu sais l’héroïne de la Comtesse de Ségur. Cette Zette, tout le monde  la vouvoie, comme si c’était une grande personne. Sauf Poum, pour lequel Zette n’a pas une admiration débordante. Poum est un fâcheux. C’est comme ça qu’on appelle un gêneur, un importun. Zette le trouve un peu grossier. Et Poum de son côté la traite de poseuse et de menteuse. Bref, ces deux-là  sont toujours entrain de se chamailler, un peu comme Sophie et son cousin, dont je n’arrive pas à retrouver le prénom. Ah si ! Je crois qu’il s’appelle Paul.

            Dans la cour de récréation, avec Henriette, Marie-Jo, Annie et les autres, nous chantons des petits poèmes qu’on appelle des comptines.

                        J’ai perdu mon tit coq de Chine

                        La pipe la pompe la rivière du Mât

                        J’ai perdu ma poule, ma poule

                        Au fond du cabinet.

Celle-là de comptine, je la trouve pas dans mon livre « Comptines en liberté ». J’ai déjà cherché. Introuvable. Pourquoi ? Nous chantons aussi :

                        Une poule sur un mur

                        Qui picote du pain dur

                        Picoti  picota

                        Lève la queue (ou lève la patte)

                        Et puis s’en va !

Moi, j’aime particulièrement : Jamais on n’a vu vu vu

                                               Jamais on n’verra ra ra

                                               La queue d’une souris ri ri

                                               Dans la gueule d’un chat chat chat !

Nous avons  un joli livre de récitations. J’aime beaucoup le feuilleter, il est joliment illustré. La maîtresse nous fait copier des poèmes dans le  cahier de poésies et nous devons les apprendre par cœur et les réciter en mettant le ton. J’ai toujours des bonnes notes en récitation. En ce moment, nous récitons « Dame souris », une poésie de Paul Verlaine. Je la trouve amusante.

            Hier soir, en allant dire bonsoir à Maman Jane, j’ai proposé de la lui réciter. J’ai eu peur qu’elle dise non parce qu’elle était entrain de dire sa prière. Mais elle a mis le chapelet dans le creux de sa main et elle a dit : Vas-y, en souriant.

                                    Dame souris trotte

                                    Noire dans le gris du soir…Je me suis un peu trompée dans la dernière strophe et pourtant c’est celle que je préfère :

                                                           Dame souris trotte

                                                           Rose dans les rayons bleus

                                                           Dame souris trotte

                                                           Debout paresseux !

Maman Jane m’a dit : Ca mérite une image. Et elle s’est levée et a ouvert son armoire. Dans une boîte en fer blanc, il y avait un  gros tas d’images et j’ai eu droit à une dentelle de papier de toutes les couleurs représentant un bouquet de myosotis. Génial ! La prochaine fois, à Maman Jane, je lui dirai :

Dors mon beau chat, dors

Ferme un peu tes yeux cousus d’or

Les souris vont venir

Les jolies petites souris

Que tu croques à belles dents

10 janvier 2012

LA BOUTIQUE CHINOIS

 boutique chinois1

A chaque coin de rue, ou à peu près, il y a une boutique-chinois. C’est l’élément indispensable de la vie. La boutique offre son comptoir pour le coup d’sec ; ses rayonnages pour les conserves, les allumettes, les bouteilles, les savonnettes ; ses vitrines pour les bonbons, les pains, le fromage tête de mort, le saucisson et le beurre en boîte vendu au détail ; ses balles de riz, de grains et de sucre. Tout ce qu’il faut pour approvisionner la famille au quotidien. Les enfants y sont admis pourvu qu’ils aient les sous au creux de la  main ou que leurs parents bénéficient d’un crédit sur le mois.

Nous avons un carnet chez le chinois et en fin de mois, Papa passe régler le compte. A partir de cinq heures du soir, la boutique grouille de monde et nous attire irrésistiblement. Le rhum échauffe les esprits et fait monter le ton des conversations. Marraine ne veut pas que j’aille à la boutique toute seule. Elle dit que ce n’est pas un endroit pour une petite fille. Mais souvent après la classe, Criquette et moi, nous bravons les interdits pour un petit pâté, un chemin de fer, ou mieux encore un sorbet. Madame Chane-lock est heureuse de nous voir arriver. Cossa i veut marmaille ? Et le carré de glace à la grenadine  est tendu vers nos petites mains dans un morceau de papier journal.

Parfois, Madoré est de passage et l’ambiance est à son comble. Il crache deux coups par terre et fait plein de mouvements saccadés. On appelle ça des tics. Je suis pas très rassurée mais Criquette est aux anges. On le regarde en coin tout en suçant notre carré de glace avant qu’il soit complètement fondu. Quelqu’un dit : Chante in chanson Madoré ! Et Criquette ajoute bien fort : Allez Madoré ! Madame Chane-lock pose un petit verre de plus sur le comptoir et le remplit à ras bord. Et Madoré accorde son instrument aux sons métalliques et se met à chanter. «  ABCD v’là mi conné mon alphabet… ». J’aime bien, mais on peut pas rester trop longtemps. S’agirait pas de se faire attraper là, au milieu des buveurs de rhum.

Quand on a pris un sorbet, souvent on attrape mal au ventre. Maman se fâche, elle dit que c’est fait avec de l’eau sale. En fait, ce n’est ni plus ni moins que du sirop de grenadine mis à glacer dans les casiers à glace du frigidaire. Mais pour nous qui n’avons pas de frigidaire, c’est un vrai délice…

Maman  Jane n’accepte pas d’acheter à crédit. Elle met à la disposition d’Ezite une boîte en fer blanc dans laquelle se trouve une somme d’argent qui doit durer la semaine. Ezite puise dans la boîte avec précautions pour aller à la boutique ou au Petit Marché. Elle compte les sous, le front froncé, l’air grave, avant de prélever la somme nécessaire aux achats quotidiens. Maman dit que Maman Jane est avare et qu’elle pourrait donner beaucoup plus. Pauvre Elise, elle dit, elle fait des miracles avec une misère…

Publicité
Publicité
10 janvier 2012

LA RUE SAINTE-MARIE

rue ste marie1 

La rue Ste Marie, c’est un peu ma rue. C’est là que se trouve la maison de Maman Jane. Nous, nous habitons Rue Jules Auber et c’est juste à côté. Notre école aussi est rue Jules Auber, c’est l’école Joinville. Dans deux ans, j’irai au collège à « Juliette Dodu ». Le collège fait l’angle des rues Ste Marie et Juliette Dodu. Tout ça, c’est le même quartier, c’est notre quartier. Maman Jane a été directrice du collège et c’est là que Maman travaille aussi. Elle est surveillante d’études. On dit qu’elle est sévère. Elle a une règle qu’elle tape sur la table pour faire taire les bavardages.

Criquette et moi, nous connaissons bien toutes les maisons du quartier et ceux qui les habitent nous sont familiers. Nous devons les saluer quand nouds les croisons.

Juste en face de chez Maman Jane, c’est la maison des Lécolier, une drôle de maison en béton, arrondie à l’avant. De l’étage, je regarde souvent chez eux, bien cachée derrière les persiennes closes. Le père Lécolier ne travaille pas, il conduit la voiture et met de longues minutes à la faire entrer dans le garage, avant-arrière, avant-arrière, ça n’en finit pas. Monsieur Lécolier a un surnom, on l’appelle « Chauffe-galet ». Ca me semble peu glorieux. Sa femme est institutrice et on dit « C’est elle qui fait bouillir la marmite », on dit ça avec une pointe de mépris dans la voix. Ils ont des enfants, plusieurs même, un garçon et des filles qui sont pas mes copines.

A côté des Lécolier, c’est une toute petite maison qui donne directement sur le trottoir. Pas de jardin, juste la place de quelques plantes vertes devant la porte et les fenêtres. Toute une famille vit dans cette petite maison, le père, la mère, la tante et les enfants : C’est la famille Lebon. Je me demande comment ils font pour tenir tous là-dedans…

Plus loin, la maison de Madame Blot fait le coin des rues Jules Auber et Ste Marie. Madame Blot est une vieille dame avec un chignon gris. Elle est veuve, sans enfants, mais elle a un neveu qui est dans la magistrature. Elle a les mains qui tremblent tout le temps, c’est la maladie de Parkinson. Quand elle va acheter ses œufs à la boutique d’en face, la femme chinoise fait plein de gestes pour parer à une chute éventuelle de l’œuf qu’elle tient et qu’elle mire, pour voir s’il est bien frais. Quelle idiote, cette chinoise ! Depuis le temps, elle devrait savoir que Madame Blot ne laisse jamais rien tomber. Mais, c’est plus fort qu’elle, elle a peur pour ses œufs…

Madame Blot loue des chambres aux élèves du collège Juliette Dodu dont les parents n’habitent pas à St Denis. On les appelle des pensionnaires. Les filles s’agglutinent sur la terrasse ou à la fenêtre des chambres et ça rigole tant que ça peut.

 A l’autre bout de la rue, c’est la maison de Mademoiselle Beauvoir, une drôle de fille qui est toujours vêtue de mauve ou de violet. Je l’appelle « la violette », mais elle n’a rien d’une fleur. Elle aime les chats, ça se voit aux poils qui s’accrochent à son pull. Marraine dit qu’elle fait un peu négligé…Elle parle très vite avec une voix qui monte dans les aigus et l’instant d’après redescend dans les graves. Elle dit des  « Ma chère » par ci et des « Ma chère » par là. Quand nous la rencontrons, Marraine et moi, ça n’en finit pas, et moi, elle m’appelle « Ma cocotte » très fort dans la rue et j’aime pas ça du tout

Le plus étrange souvenir que j’ai de Mademoiselle Beauvoir, c’est quand elle a accompagné Maman Jane au bal de la Préfecture. Elle était très en beauté dans une longue robe mauve, avec des escarpins dorés et Maman Jane avait dit ensuite qu’elle aurait mérité de faire une bonne rencontre ! La voiture de la Préfecture est venue les chercher, un véritable événement et Maman Jane avait dit à Marraine : Louise, pourquoi ne viens-tu pas ? Ta place est à côté de moi.

La maison qui fait l’angle de la rue Ste Marie et de la rue Jules Olivier, c’est celle de Monsieur Jacob qui vit avec sa sœur infirme. Nous allons souvent en visite chez eux, mais c’est  surtout pour tenir compagnie à Mademoiselle Jacob, qui s’appelle Berthe. Nous disons Jacob pour faire plus court, mais c’est Jacob de Cordemoy, un nom à rallonge comme dit Maman. Pauvre Mademoiselle Jacob, elle aurait sans doute aimé troquer son nom à rallonge contre une bonne paire de jambes. Elle se déplace avec deux cannes et son corps qui est tout plat et raide se balance entre ces deux bâtons.  Quand elle se lève de son fauteuil, c’est pour aller chercher un livre ou un papier qu’elle veut montrer à Marraine. Elle parle avec une toute petite voix et ne rit jamais.

A côté de la maison de Maman Jane sur la droite, se trouve la maison des Chassagne. Maman Jane dit : Ce sont vraiment de bons voisins. Monsieur Chassagne est grand et maigre et boite un peu. Il me fait penser à un chien efflanqué qu’on aurait battu. Madame Chassagne est une forte femme, plantureuse, c’est comme ça qu’on dit. Son énorme poitrine semble la tirer en avant. Pour rétablir l’équilibre, elle va la tête en arrière, le menton pointé vers l’avant, et elle sautille comme un gros moineau. Elle est prof d’Anglais chez les filles à Juliette Dodu. Elle s’appelle Mause, jamais entendu un nom pareil, et tiens-toi bien, sa vieille tante qui vit avec elle s’appelle Miza. Mause et Miza, ça ne s’invente pas… Faut les voir aller à la messe, c’est le fou rire assuré !

Sur la gauche, habitent les Demoiselles Taillardat dans une vieille bicoque qui tient debout on ne sait comment. Combien sont-elles, deux ou trois, je n’en sais rien. Le jardin est un vrai fouillis de plantes et d’arbres de toutes sortes qui poussent dans tous les sens. Là dedans je n’ai jamais mis le nez, mais je monte parfois sur le mur mitoyen pout jeter un œil. Il y a un pauvre chien attaché à une chaîne qui tire sur sa longe à longueur de journée et de nuit, en aboyant comme un fou. Maman Jane en est agacée et dit souvent qu’elle va porter plainte. Elle a déjà fait une démarche de voisinage qui n’a rien donné.

10 janvier 2012

LE QUATRE-QUARTS

Voilà les œufs, le sucre, le beurre, la vanille et la farine… Qu’ai-je oublié, dit Maman Jane. Ah oui, une goutte de lait, c’est toujours meilleur avec un peu de lait. Ca donne du moelleux à la pâte… Elle parle toute seule mais elle sait bien que je suis là.

Tous les ingrédients sont étalés sur la table de l’office et Maman Jane a mis son tablier à carreaux sur sa robe de maison, pour ne pas le salir. Je perds pas une miette de chacun de ses gestes. Marraine est en visite chez Mademoiselle Revest. Tant mieux ! Je m’enhardis et je demande : Ce sera quel gâteau, Maman Jane ? Ce sera un quatre-quarts, elle me répond et ça s’appelle comme ça parce qu’on met le même poids de chacun des quatre ingrédients qui entrent dans la confection du gâteau.

Elle sort alors la balance pour peser le sucre, le beurre et la farine. Les œufs, elle va en mettre trois, qui attendent là sur le torchon ? J’aime la voir séparer les blancs des jaunes, elle a le coup de main pour faire ça. Clac, elle casse l’œuf en deux et, tout en retenant le jaune dans la coquille, elle fait couler le blanc dans le plat creux. Le jaune va atterrir dans l’autre plat et tout à l’heure, ce sera le mélange  des jaunes d’œufs et du sucre, avec les gousses de vanille fendues en deux et ce mélange mousseux et odorant, ponctué des petites graines brunes, me mettra l’eau à la bouche ! J’aurai alors une envie folle d’y plonger mon doigt pour le sucer. J’ai fait ça une fois et heureusement personne m’a vue !

Maintenant Maman Jane attaque les blancs avec un instrument qu’elle appelle un fouet. Elle dit : Je vais faire monter les blancs en neige et le fouet fait clic, clic contre les bords du plat. C’est vrai, ça fouette sacrément ! Et bientôt, les blancs ont perdu leur aspect gluant que je trouve peu engageant pour se transformer en une véritable neige, blanche et légère qui emplit le bol… C’est magnifique !

 Ezite vient voir où en sont les opérations, car c’est elle qui prépare le feu et la marmite. La marmite sera beurrée, recevra la pâte, puis sera mise dans la braise. Ca va cuire comme ça pendant presqu’une heure. Quarante cinq minutes ! , précise Maman Jane.

Mon intérêt est maintenant tourné vers la cuisine où se répand la délicieuse odeur. Quand ce sera cuit, il faudra encore laisser refroidir. Puis Maman Jane coupera le gâteau, avec mille précautions, dans le sens transversal et elle va napper le fond de gelée de groseille. Il faut beaucoup d’adresse pour reconstituer le gâteau, sans l’émietter. Tu penses si ça sera un régal !  Je n’ose pas demander si ce sera pour le dessert ou pour le quatre heures : Un peu de patience, je me dis, on verra bien.

Et voilà Marraine qui rentre de sa visite.

10 janvier 2012

LE MANGUIER

 

C’est un bon gros vieux manguier qui ne donne pas grand-chose, juste quelques mangues « pou rougail », c’est tout mais il fait de l’ombre devant la maison et nous aimons nous asseoir dessous pour manger le goûter. Et pourquoi pas manger le goûter à califourchon sur une de ses branches ? Ces jours derniers, Criquette et moi, nous avons exploré les grosses branches basses. Nous y avons monté nos poupées et nos livres pour faire la lecture, le dos appuyé contre le tronc.

 Aujourd’hui, c’est décidé, nous poussons l’aventure plus haut. Je monte la première, normal je suis l’aînée. Criquette suit sans trop de  peine. De branche en branche, me voilà bien haut, là où ça commence à balancer. Dommage de s’arrêter là ! Mes pieds trouvent de nouveaux appuis et me voilà finalement sur la plus haute branche, au faîte de l’arbre. Victoire ! Mais ça tangue drôlement. Le moindre petit souffle de vent et il me semble sentir tout le manguier trembler sous mes pieds. Qu’importe ! C’est vraiment chouette de tout découvrir du haut de ce perchoir. D’ici, j’ai une vue toute nouvelle sur la maison de Maman Jane…Criquette s’est arrêtée bien plus bas. Je crie : Allez viens, fais pas la poltronne. C’est quoi la poltronne, elle demande. Mais enfin, qu’est-ce qu’elle t’apprend ta maîtresse… Poltronne, c’est quand tu as peur. C’est pour dire que tu as peur. On dit aussi froussarde  ou trouillarde.

Mais voilà Maman qui appelle pour le goûter. Bah ! J’ai pas très faim et puis ici, c’est vraiment magnifique. Tiens, il faudrait  monter le goûter dans un petit panier avec une corde ! Bon, Maman insiste, faut descendre. Descendre, c’est plus facile à dire qu’à faire. Ca balance de plus en plus. Criquette est déjà en bas. Mais moi, je commence à paniquer, je ne trouve plus d’appuis pour descendre. J’aurais dû faire comme le Petit Poucet, semer des cailloux sur le chemin de la montée pour retrouver celui de la descente… J’ai beau envoyer le pied, tâtonner, rien à faire pour trouver où le poser. J’essaie avec le pied  gauche, puis à nouveau avec le droit, rien à faire. Me voilà bien ! Je me mets à transpirer et à trembler.

 Je serre le tronc de plus en plus fort. J’ai le vertige, j’ai le tournis. Quand je lève la tête, à travers le feuillage, je vois les nuages qui filent dans le ciel. Je baisse la tête et tout en bas je vois Maman qui est venue aux nouvelles et qui me crie que je n’ai plus qu’à attendre l’arrivée de Papa.

Je suis en fort bonne position  pour voir Papa  arriver en haut de l’escalier. Mais dans combien de temps, mon Dieu ! Toujours collée au tronc, les jambes serrées, doigts et ongles accrochés à  l’écorce, j’attends la délivrance.

 « Papa, viens cherche a moi ! » Mon cri l’a surpris dès son arrivée. Tout en descendant, il a cherché d’où venait l’appel de détresse. Je me suis empressée de lui donner les précisions nécessaires. Le temps d’enfiler un short de jardin, en un rien de temps, il est près de moi, le Papa-Sauveur, m’entourant de ses bras, guidant mes pieds, assurant mes prises. « Prochaine fois, rest’ dormir là-haut », a bougonné Maman, tandis que je remets les pieds sur la terre ferme.

 Maman Jane, venue à la rescousse, ajoute : « Alors mon enfant, il paraît que l’homme descend du singe… »

10 janvier 2012

LA LAMPE PETROLE

A la Montagne, il n’y a pas d’électricité. Quand la nuit tombe, on allume les lampes à pétrole ou les bougies dont les petites flammes clignotent sans cesse. Pour la lecture c’est pas commode. Au dessus de la table à manger ; Maman Jane allume une grosse lampe à pétrole en cuivre. Elle commence par vérifier le niveau du pétrole, puis elle enlève le verre de lampe et crac ! Elle craque l’allumette et l’approche de la mèche. Il faut toujours caresser un peu la mèche pour qu’elle daigne s’enflammer. Puis remettre le verre et régler la flamme. Toute une histoire ! Si c’est pas bien réglé, ça se met à fumer et ça éclaire plus…

 Quand tout est parfait, elle met la lampe dans son support et remonte le tout au dessus de la table, par une sorte de poulie. J’aime bien la regarder faire. Ca éclaire presqu’autant que l’ampoule électrique du lustre de la salle à manger de St Denis. Mais ça fait plus mystérieux. Souvent je dîne avec Marraine et Maman Jane. J’ai ma serviette dans mon rond de serviette en argent avec mon nom dessus.

Ezite pose la soupière sur la table et plante la louche au beau milieu. Elle dit : C’est une bonne soupe aux légumes et je vois tout de suite qu’elle a mis des vermicelles dedans. Je vais me régaler. Mais il faut attendre d’abord que Maman Jane soit servie. Puis Marraine remplit mon assiette, puis la sienne, et nous pouvons commencer. Doucement, dit Maman Jane, c’est très chaud et elle s’attarde à émietter quelques croutons dans son assiette. Ce sera tout son repas du soir. Nous, nous aurons encore du riz et un légume  et parfois de la viande pou du poisson. Le dessert, c’est toujours une surprise : Parfois un tout petit bout de chocolat, parfois une banane, mais c’est lourd le soir, dit Marraine, parfois aussi un morceau de gâteau fait-maison ou encore une friandise d’Ezite, bonbon-coco, colle-aux-dents ou confiture de papaye. Les repas de vacances sous la lampe-pétrole, y a pas de mots assez forts pour dire comme c’est bien.

Demain, peut-être que nous irons « en partie » avec Maman et Marraine. Il faudra marcher jusqu’à St Bernard pour aller visiter le Père Raimbault et nous nous arrêterons pour pique-niquer dans la nature. Ezite fera un zambrocale avec rougail saucisses. Pourvu que le temps ne soit pas à la pluie ! Maman Jane dit qu’elle ne viendra pas car elle n’est plus en âge de marcher si longtemps. Et Mado, qui n’a pas encore 4 ans, c’est un vrai bébé. Est-ce qu’elle va marcher un peu ou dire tout de suite : Je suis « fatidée » pour se faire porter tour à tour par Maman ou par Marraine…

Le soir, nous reviendrons par le car, à la nuit tombée, tout juste avant l’arrivée de Papa. Pauvre Papa qui travaille tandis que nous sommes en vacances !

10 janvier 2012

LE CHANGEMENT D'AIR

 changement d'air2

Quand arrivent les vacances, nous montons à la Montagne en changement d’air. Il faut mettre tous les meubles et les instruments de cuisine et les valises avec le linge à l’arrière du camion et c’est parti. Nous, les enfants, nous sommes à l’arrière du camion avec la nénène qui nous surveille. Maman est à l’avant près du chauffeur et Papa arrivera tout à l’heure, par le car, après le travail.

 Arrivés là-haut, il faut tout décharger et tout descendre par l’escalier qui a 47 marches. Je les ai comptées…Ce n’est pas une petite affaire. Tout le monde donne un coup de mains, même les enfants. Nous avons une toute petite maison, dont les murs sont en torchis. Maman se plaint qu’elle manque de confort. Mais c’est juste pour les vacances.

Au dessus, Maman Jane et Marraine sont montées dans la grande maison. Ce qui est amusant, c’est le jardin avec ses manguiers, ses filaos et surtout la ravine où chantent les crapauds, le soir quand il pleut. Dans la ravine, il y a la source. Tous les soirs, avec Marie-la-Blanche, notre Nénène, nous prenons les arrosoirs et nous allons chercher l’eau de source pour la boisson. L’eau coule par une grosse tige de bambou évidée. Elle est très claire et bien fraîche. Maman Jane en mettra dans sa gargoulette qui se couvrira de buée. J’aime bien ce mot-là, « Gargoulette », tu le dis et on dirait que tu entends l’eau couler dans le verre en faisant glouglou et que tu sens la fraîcheur sur ta langue.

Publicité
Publicité
1 2 3 > >>
Publicité
Publicité